Chronique sur les promesses de One Health : « une seule santé, s’ouvrir à d’autres savoirs » par l’anthropologue Nicolas LAINÉ
Qu’il est difficile d’inculquer à nos esprits occidentaux rationalistes la possibilité d’autres voies pour trouver des solutions… Pourtant, pour comprendre, détecter, surveiller, prévenir, réguler et combattre les épidémies, l’anthropologue Nicolas Lainé démontre dans « une seule santé, s’ouvrir à d’autres savoirs » aux éditions Quaé, collection « sciences en questions », que la transdisciplinarité est de rigueur, en particulier à l’aide de l’exemple réussi de l’observatoire socio-écologique de Nan en Thaïlande. De plus, santé humaine, santé animale et santé environnementale sont intimement liées, il ne faut pas se contenter d’un point de vue anthropocentrique : les animaux ont beaucoup à nous apprendre !
Nous sommes tous à la fois cibles, vecteurs et acteurs de santé
La pandémie de la Covid de 2019 a montré que personne n’était totalement isolé au point d’échapper à un fléau mondialisé. Du fait de nos activités économiques ou de loisirs, nos déplacements impactent tous les êtres vivants et tous les milieux de vie de la planète. Et tant qu’il y aura de l’énergie pour voyager, les transmissions bactériennes et virales se poursuivront.
Le concept One Health, « une seule santé », revient d’une part à maintenir une vigilance de tous quant à nos influences sur l’environnement afin de réduire, outre le réchauffement climatique, l’émergence et la diffusion d’épizooties, d’autre part à renforcer la coopération entre les disciplines pour améliorer les mesures de prophylaxie.
L’interdisciplinarité impose d’accepter la différence comme équivalence
« Une seule santé, s’ouvrir à d’autres savoirs » reprend les propos de Nicolas Lainé lors d’une conférence-débat du 1er février 2024. Il y évoque le fait que nos méthodes scientifiques occidentales ne résolvent pas toutes les situations, loin de là. D’autres connaissances et pratiques doivent participer à la prévention et à la médication face aux maladies. En regroupant à la fois des spécialistes de différentes disciplines et des personnes non cataloguées comme scientifiques mais impliquées sur le terrain, l’efficacité peut être au rendez-vous. Il va même plus loin : les animaux, les plantes et l’environnement en général portent déjà des réponses que nous avons longtemps mésestimées. Par exemple, en prenant en compte les expériences de pharmacognosie que font les animaux dans leur quotidien pour s’automédiquer, en mangeant certaines herbes ou racines, on peut améliorer leur santé. Sachant que 70% des maladies infectieuses affectant les humains sont d’origine animale, elles-mêmes dépendantes de leur environnement de vie (Cleaveland et al., 2001), il paraît indispensable de sortir des laboratoires, comme il le fait en tant qu’anthropologue, et d’aller au contact des populations locales. Leurs savoirs « profanes », emmagasinés au fil des générations et des observations des animaux élevés pour leur viande ou leur force, doivent être pris en compte en complémentarité des apports scientifiques, et non pillés, remplacés et effacés.
Notre approche consumériste a généré la fragilisation de notre propre habitat, dans une logique de course en avant, à laquelle nous avons répondu par l’exclusion ou la destruction des espèces « nuisibles » (y compris de populations humaines) en guise de « geste barrière » ou par la création d’OGM pour obtenir une immunité contre-nature. Nous devons maintenant endiguer les conséquences de nos actes. L’objectif de One Health est donc de considérer les différents constituants du vivant : plantes, animaux, humains, environnement, et d’encourager le regroupement des savoirs, pour assurer notre développement durable.
Les animaux ont des connaissances sur leur environnement !
Les comportementalistes animaliers, qui tentent de rapprocher les humains des animaux, peuvent retenir deux enseignements de ce livre : réapprendre l’humilité en considérant l’autre (le propriétaire et l’animal) comme un complément à la solution, et observer d’un œil neuf l’animal, scientifique malgré lui, dont nous négligeons les aptitudes !
C’est la logique bien connue issue de la systémie : tous les constituants de la situation peuvent participer à l’amélioration de la situation. Ainsi, chacun devient codétenteur de la solution, la combinaison est plus efficace que l’asservissement à une méthode… celle du plus fort. Cela nécessite d’accepter la différence, pas de l’ingérer dans son propre modèle. Quand on se complète, on s’enrichit, ensemble et pour tous. « Faire l’effort et pas les forts », cette devise de Vox Animae est plus que jamais d’actualité.
La prochaine étape serait de rapprocher One Health de One Welfare et de son pendant, One Violence… pour revitaliser et réharmoniser le Monde. One World.