Chronique sur le livre “Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant)” de Hélène Gateau
Petit à petit, nos animaux de compagnie se fondent dans notre quotidien, jusqu’à être une alternative à un conjoint ou à un enfant sur les plans affectif et relationnel. Une nouvelle cellule familiale voit le jour, autour du « pet parent », qui intègre en son sein un humain et l’incarnation de sa progéniture malgré ses poils, ses plumes ou ses écailles.
Témoignage lucide et argumenté, « Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant) » expose un choix de vie, et amorce les bases d’une cohabitation équilibrée entre êtres vivants doués de sensibilité, mais issus d’espèces différentes.
A la fois manifeste à aimer et manuel pour les dog parents, Hélène Gateau propose un livre respectueux de tous les modes de vie. Elle rappelle que le chien aime inconditionnellement, sans chercher les déclinaisons et les nuances de ce verbe, qu’il est en ce sens un modèle d’humanité dont nous devrions nous inspirer. Se défiant de toute polémique, elle prend pour fil conducteur la tolérance qui nous fait parfois défaut face au bonheur partagé avec un être cher, tout en apportant son éclairage, grâce à sa casquette de vétérinaire, sur l’importance de considérer les besoins psychologiques, sensoriels, physiologiques et physiques de l’animal.
« Que la relation soit amoureuse, amicale, filiale ou interespèce, sa raison d’être n’est-elle pas le partage de moments de vie ? »
Se revendiquant de la tendance « chidfree », ou « SEnVol » (pour « Sans Enfants Volontaire »), comme 4,3% de femmes en France selon une étude de 2010, Hélène Gateau a fait le choix depuis toujours de ne pas avoir d’enfant. Pourtant, en dehors de la célébrité, sa vie d’humaine est somme toute banale : professionnelle accomplie, quadra dynamique et femme (hétéro) épanouie, ne devrait-elle pas combler son existence par l’enfantement, par la maternité, par l’éducation de celui ou celle qui est issu de sa chair ?
Pour réaliser son introspection, parce qu’on ne peut tricher avec lui, elle se met – littéralement – à nu devant son chien. Les capacités sensorielles de Colonel auraient tôt fait de détecter les artifices et les circonvolutions, y compris les mensonges qu’on se fait à soi-même ! C’est ainsi qu’elle se soumet sans réserve à l’exploration de son passé, de ses expériences, de ses peurs et de ses désirs, au travers des pages de son livre.
De cette enquête, complétée de références scientifiques, elle tire plusieurs conclusions : notre espèce n’a pas le monopole des sentiments affectueux, mais elle a une compétence naturelle à l’alloparentalité (le fait « d’endosser le rôle de parent pour un enfant qui n’est pas le nôtre ») d’animaux de compagnie, qui n’est pas une aberration comportementale ou un désordre psychique, seulement une nouvelle forme de cellule familiale, mais qui peut conduire à des dérives quand le « pet parent » est inapte, en particulier par manque de connaissances, à s’occuper de son « pet child ».
En effet, des expériences telles que celles de Cassidy et Shaver ou Nagasawa ont montré la force du lien qui peut unir un humain et son chien, un véritable sentiment d’amour entre les individus, cet attachement si fort qu’une séparation devient douleur, qu’un accident de la vie provoque le désarroi, que la séparation définitive amène au désespoir. Hachiko en est un puissant symbole au Japon, qui vient de fêter les 100 ans de sa naissance : il aura attendu quotidiennement et pendant près de dix ans à la gare de Shibuya son maître décédé. Cette dépendance affective provoque même des relations encore plus étroites pour les chiens envers les humains, qu’envers leurs propres congénères !
« Combien de propriétaires de chiens ne savent pas… ce qu’est un chien » !
Chacun en France est libre d’offrir à un individu dépendant (« irresponsable » devant la loi) ses sentiments, et à partir du moment où il en prend la charge, il se doit de lui apporter son soutien sur les domaines de la sécurité, la santé, l’éducation. L’amour ressenti est personnel, et s’il peut être par définition à sens unique, il ne doit pas devenir l’objet d’un asservissement : le bénéficiaire de ces attentions a aussi des droits, tels que pouvoir exprimer ses comportements naturels, et Hélène Gateau le prend en considération. Elle décode la nature du chien, ce dont il a besoin au quotidien.
En tant que comportementalistes, nous cautionnons totalement cette dénonciation des dérives de l’anthropomorphisme, aggravées par la pédomorphose et l’hypertype corporel, dont les excès provoquent le « babymorph », cette façon de traiter son animal comme un bébé, comme nous condamnons la « chosification » qui mène les animaux à un état de terreur tel qu’il inhibe toute action, quand leur seul rôle est de constituer un faire-valoir à leurs propriétaires. Pour lutter contre ces fléaux, nous encourageons la nécessaire réflexion avant l’adoption, que permet en partie le « certificat d’engagement et de connaissance » (obligatoire depuis fin 2022 pour toute adoption), ainsi que ce livre, et nous militons pour l’apprentissage de ce qu’est un chien et ce qu’engage son intégration dans une vie cohabitationnelle avec une espèce différente de la sienne. Le chien a cette compétence innée de s’attacher inconditionnellement, mais l’inconséquence humaine est à l’origine de nombreux cas de maltraitance, mal-être, mal-compris, mal-à-sa-place, déclencheurs de relations dysfonctionnelles, dont l’animal se retrouve doublement victime.
Pour atteindre la plénitude émotionnelle, hommes et femmes, nous faisons appel à des valeurs-refuge, telles l’affection, la loyauté, la compassion, et les animaux domestiques sont particulièrement prolixes dans ces domaines. C’est ce qui nous conduit à les adopter, au sens premier du terme, en les considérant comme des membres de la famille. Nous voulons aimer et être aimés ! Mais pour obtenir cet équilibre délicat, il faut accepter d’apprendre à connaître l’autre. Alors s’ouvre un cercle vertueux : je te fais du bien car je réponds à tes besoins, tu te sens bien alors tu es en capacité de me rendre la réciproque. Apprenons à les connaître !
Pour les pet parents, l’écueil peut provenir du champ lexical, qui assimile peu à peu celui utilisé par les professionnels de l’enfance humaine. On parle par exemple d’éducation positive, bienveillante et non-violente. Il s’agit de ne pas s’arrêter sur les mots, mais d’en comprendre les concepts : cela n’implique pas de laisser l’animal faire tout ce qu’il veut, au contraire, car comme pour le jeune humain, des repères sécurisants nécessitent un cadre et des limites, indispensables pour apprendre la patience, la frustration et les interdits, afin de respecter les règles de vie et de bienséance en société !
« Se sentir à la fois responsable de quelqu’un et accompagnée »
Son évolution a fait du chien une entité de la niche écologique humaine. Cependant, on ne peut pas « élever » un chien comme un nourrisson : le second devient enfant, adolescent puis adulte, se détachant progressivement de ses parents, tandis que le premier restera toujours dépendant de nous… et pourra être materné toute sa vie. Materné ? Ou paterné ! Le livre d’Hélène Gateau fait étonnement écho à celui de Cédric Sapin-Defour, « son odeur après la pluie », sorti il y a quelques mois : voilà un homme qui défend l’idée qu’on puisse entretenir une amitié inaliénable avec son chien, sans pour autant renoncer à l’amour d’autres humains. Hélène Gateau dit la même chose par effet miroir…
Mais la biologie et la société viennent s’immiscer dans cette convergence, pour en déloger une réalité amère : le statut de femme implique, de façon – jusqu’à présent – indélébile, la procréation et le rôle de nourrice, et ajoute avec perversité les tâches parentales sur ses épaules (à 70% : c’est le ratio assumé par la mère), jusqu’au faible taux de natalité de notre pays ! Alors que l’éloge de Cédric Sapin-Defour pour Ubac évoque la complicité entre un homme et son chien, le bonheur de vivre avec Colonel pour Hélène Gateau est oblitéré par sa condition : elle est une femme célibataire sans enfant, en âge de procréer, et a un chien pour compagnon fidèle. « Dogmom » ou « dogdad », les disparités persistent !
« Toutes les mains d’une famille se rencontrent sur le dos d’un chien » (Jean-Louis Aubert)
D’un côté, le chien s’est complètement intégré dans notre vie, à tel point que les éthologues parlent désormais de la « socialité canine », le fait que le chien se socialise avec l’humain, notion pourtant réservée aux relations intraspécifiques. Devenu un membre à part entière de la famille, l’animal et ses pet parents ont développé une interdépendance manifeste, et le meilleur ami de l’homme en est venu à combler un espace de vie traditionnellement réservé au conjoint ou à l’enfant. De l’autre côté, les nouvelles technologies et tendances sociétales aident les personnes en incapacité biologique ou statutaire (couples d’homosexuels, personnes célibataires) à concevoir ou à adopter des enfants.
La parentalité exige des choix, qui peuvent être vécus comme des épreuves exaltantes ou des sacrifices, sur le plan du temps disponible, de la charge mentale et physique, de la carrière, du budget à affecter. L’ajout d’un animal dans cette équation relativement récente bouscule des mœurs qui semblent ne pas finir de muter. Peut-on aimer un animal comme un humain, peut-on choisir d’aimer un animal plutôt qu’un enfant ? La question ne fait pas débat dans les foyers qui comptent des chiens ! Et pour sa part, Hélène Gateau a tranché : elle assume de donner à Colonel plus de place dans sa vie qu’à un humain, mais de l’aimer seulement comme un chien !