« Mon chien est dominant » : vous avez sûrement déjà entendu cette phrase, voire l’avez prononcée vous-même en parlant de votre chien. Le terme de dominant est un terme populaire, souvent utilisé pour décrire la personnalité de nos chiens et retrouvé régulièrement dans la littérature canine. Il est entendu en particulier dans les contextes où l’animal produit des comportements agressifs lors d’interactions avec un autre être vivant mais aussi lorsqu’il refuse de descendre du canapé ou n’accepte pas que l’on approche de sa gamelle…
Définition de la dominance
En éthologie, la dominance et la soumission sont le résultat d’une interaction à un instant T entre deux individus de la même espèce pour l’obtention d’une ressource au sein du groupe, notamment une ressource alimentaire ou pour un partenaire sexuel. A la suite de ce conflit, parfois violent, il en ressort un vainqueur et un vaincu, c’est ce qu’on va appeler le dominant et le soumis. La hiérarchie, c’est la somme des résultats de ces interactions. La hiérarchie a pour but de structurer les rapports entre les individus et de limiter les conflits en situation de compétition. Pour qu’il y ait l’installation d’une hiérarchie, il faut d’abord que le groupe d’individu soit stable (avec des individus qui vivent ensemble depuis par exemple plusieurs mois), que les individus soient de la même espèce et que le résultat des conflits soit toujours le même, avec le même individu vainqueur – celui qui deviendra le dominant, et le même individu vaincu – celui qui deviendra le soumis. En éthologie, une hiérarchie ne peut pas s’installer au sein d’un groupe d’individus provenant d’espèces différentes. La mise en place d’une hiérarchie est souvent liée à une compétition vis-à-vis de la quantité des ressources (nourriture, abri, femelle, etc..), à leur qualité et à leur accessibilité. C’est l’humain qui produit cette sorte de cartographie représentant les relations entre les individus d’un groupe stable en se basant sur les comportements agonistiques (les conflits) observés dans ce groupe.
Un mythe dépassé
Si vous avez bien suivi, une hiérarchie ne pourra donc pas s’installer entre un chien et un humain, ni entre un chien et un chat, même si ceux-ci vivent ensemble depuis plusieurs mois. Ils sont en effet d’espèces différentes et ne partagent pas les mêmes ressources. J’aime bien faire ce type de comparaison assez parlante : installer une hiérarchie avec son chien voudrait dire que l’on est en compétition pour l’accès à la nourriture mais aussi pour les partenaires de reproduction…
Mais alors pourquoi avons-nous toujours cru qu’il fallait dominer notre chien pour qu’il nous respecte et que cette idée est encore véhiculée dans certains livres mais aussi par certains professionnels du monde canin ?
C’est David Mech, zoologiste américain, qui serait à l’origine du terme « Alpha » tant utilisé pour décrire le loup dominant d’une meute. Ses premières observations ont été réalisées sur des groupes de loups formés par l’humain, provenant de différents lieux et donc de différentes familles/meutes et réunis dans un seul lieu, confinés en parc, avec l’impossibilité de fuir en cas de conflits. Cette impossibilité de fuir et ce confinement forcé mènent les loups à de nombreux conflits, parfois violents et à installer une hiérarchie linéaire et fixe, de type : l’individu A domine l’individu B, B domine l’individu C, donc A domine C. Ces nouvelles connaissances ont été généralisées à tous les loups et rendues public grâce à des articles, livres et conférences réalisés par David Mech. Il a été rapidement proposé que le chien fonctionnait comme le loup et qu’il avait le même système d’organisation sociale que lui, à savoir une hiérarchie bien définie, linéaire, avec toujours le même individu ou le même couple d’individu qui domine les autres individus de la meute. L’humain en a donc conclu qu’il fallait dominer son chien au sein de son foyer.
Or, quelques années plus tard, à la suite d’observations sur des loups en milieu naturel, David Mech est revenu sur ses propos en indiquant que ses conclusions concernant l’organisation sociale du loup étaient erronées. Il indiqua que les meutes de loups naturelles (et non formées par l’humain) étaient en fait des familles, constituée d’un couple de parents, les petits de l’année et potentiellement les petits de l’année précédente qui restaient pour aider à l’élevage des jeunes et à la chasse. Les parents sont donc des leaders naturels et non des tyrans dominants qui asservissent les autres membres du groupe par tous les moyens. Il explique aussi dans ses publications et conférences que les loups développent des liens de coopération, de bonne entente, voire d’allégeance, qui ne débouchent que très rarement sur la mise à mort d’un individu. Ils entretiennent des relations de communication dans le but de ne pas déclencher de conflit majeur et pratique davantage l’évitement que l’agression. Vous pouvez d’ailleurs trouver facilement une vidéo sur internet dans laquelle on voit David Mech revenir sur ses propos concernant le mâle dominant alpha et expliquer ce qu’est en réalité une meute de loups en milieu naturel.
En conclusion, il n’existe pas de hiérarchie entre un humain et un chien. Il ne sert donc à rien de dominer son chien pour se faire respecter de lui. Préférez des méthodes bienveillantes, basées sur la coopération et la motivation de votre animal (et j’inclus ici tous les animaux qui vivent avec nous).Ce point sera développé dans un prochain décryptage ainsi que les conséquences néfastes de l’utilisation de méthodes coercitives.
Dr Pauline SALVIN
Docteure en éthologie et formatrice