Vous avez sûrement déjà entendu ou utilisé l’expression « avoir une mémoire de poisson rouge », impliquant une mémoire courte ou plutôt mauvaise. Les poissons sont souvent vus comme des espèces simples, peu intelligentes, avec peu ou pas de sensibilité et réagissant principalement à l’instinct. Mais est-ce vrai ?
Spoiler alert : c’est faux ! Et nous le savons depuis longtemps. Voyons ensemble quelques exemples mettant en lumière les capacités cognitives et sociales des poissons.
Des capacités cognitives
Tout d’abord, ils ont une bonne mémoire. Il a été montré par exemple que les saumons retiennent les lieux où ils sont nés et y retournent plusieurs années après pour pondre leurs œufs, même si ceux-ci se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres de distance1. Les gobies vivent dans des flaques lorsque la marée est basse. Lorsqu’ils se font chasser par un prédateur, ils sautent de flaque en flaque pour lui échapper, sans s’écraser sur les rochers. Comment font-ils ? Lors des marées hautes, ils mémorisent l’emplacement des creux et déduisent ensuite la position des flaques à marée basse pour s’enfuir2.
Les poissons ont la capacité de reconnaitre des formes, les catégoriser3 et de discriminer différentes espèces4. Ils sont aussi capables de reconnaître des visages. C’est le cas par exemple du toxote qui peut reconnaitre des visages humains6. Fait amusant, ce poisson est aussi appelé poisson-archer car il a des capacités de chasse incroyables. En effet, il crache des jets d’eau très précis pour faire tomber des insectes à la surface de l’eau afin de les manger. Récemment, en 2023, il a été montré que les labres nettoyeurs reconnaissent leur propre visage sur une photo5.
Des capacités sociales
Les poissons ont aussi la capacité d’apprendre mais aussi de transmettre ces apprentissages à leur descendance7. Par exemple, ils apprennent où se trouvent les lieux de ponte, de nourriture, le circuit à emprunter pour cette recherche de nourriture, les lieux de repos et l’enseignent à leur tour à leurs petits.
Des études montrent également que les poissons sont des êtres sensibles, qui ressentent la douleur8,9.
Enfin, ils ont la capacité de communiquer entre eux, notamment de manière acoustique, dans des contextes variés tels que le maintien de la cohésion de groupe, les parades ou encore les interactions agonistiques (agressions) et adaptent leurs signaux de communication aux conditions de l’environnement et à la présence de prédateurs10.
Les exemples cités plus haut nous montrent clairement que les poissons possèdent des capacités cognitives et sociales bien plus complexes que ce que l’on pourrait penser. Et il existe encore de nombreuses études sur ce sujet. Ces capacités sont souvent réservées aux vertébrés, possédant un cortex. Pourtant les poissons n’en possèdent pas un mais sont tout de même dotés de compétences similaires. De nombreuses études remettent en perspective nos a priori sur les espèces qui paraitraient moins développées que nous. Elles montrent que les poissons devraient avoir la même considération que les mammifères ou encore les oiseaux et soulignent l’importance de les protéger et de respecter leur habitat marin tout autant que l’habitat terrestre.
Dr Pauline SALVIN
Docteure en éthologie et formatrice
Sources :
1. Ueda, Hiroshi. « Physiological Mechanism of Homing Migration in Pacific Salmon from Behavioral to Molecular Biological Approaches. » General and Comparative Endocrinology 170, no. 2 (2011): 222-32. doi:10.1016/j.ygcen.2010.02.003.
2. Aronson, L.R. Further studies on orientation and jumping behaviour in the gobiid fish, Bathygobius soporator. Annals of the New York Academy of Sciences, 188, (1971): 378-407.
3. Schluessel, V., Fricke, G. & Bleckmann, H. Visual discrimination and object categorization in the cichlid Pseudotropheus sp.. Anim Cogn 15, 525–537 (2012).
4. Siebeck, Ulrike E. et al. A Species of Reef Fish that Uses Ultraviolet Patterns for Covert Face Recognition. Current Biology, Volume 20, Issue 5, 407 – 410 (2010).
5. Kohda M, Bshary R, Kubo N, Awata S, Sowersby W, Kawasaka K, Kobayashi T, Sogawa S. Cleaner fish recognize self in a mirror via self-face recognition like humans. Proc Natl Acad Sci U S A. (2023) 14;120(7):e2208420120. doi: 10.1073/pnas.2208420120.
6. Newport, C., Wallis, G., Reshitnyk, Y. et al. Discrimination of human faces by archerfish (Toxotes chatareus). Sci Rep 6, 27523 (2016).
7. Warner, R.R., Traditionality of mating-site preferences in a coral reef fish. Nature, 335 (1988): 719-721.
8. Sneddon, Lynne U. « The Evidence for Pain in Fish: The Use of Morphine as an Analgesic ». Applied Animal Behaviour Science 83, no 2 (2003): 153‐162. doi:10.1016/S0168-1591(03)00113-8.
9. Millsopp, Sarah, and Peter Laming. « Trade-Offs between Feeding and Shock Avoidance in Goldfish (Carassius Auratus). » Applied Animal Behaviour Science 113, no. 1-3 (2008): 247-54. doi:10.1016/j.applanim.2007.11.004.
10. Ladich F. Ecology of sound communication in fishes. Fish Fish. 2019; 20: 552–563. https://doi.org/10.1111/faf.12368