Chronique sur le livre “son odeur après la pluie” de Cédric Sapin-Defour
Cédric Sapin-Defour a dit à son chien Ubac : “en fait on vous adopte pour que vous nous brossiez dans le sens du poil ! » Puis il a réfléchi, et la relation est devenue donnant-donnant…
Jusqu’à présent, les scientifiques n’accordent pas aux animaux le sentiment amoureux. Pourtant, certains expriment de l’amour par leur attachement inconditionnel à d’autres individus, notamment humains. De notre côté, l’amour dont nous nous arrogeons l’exclusivité est souvent mal compris quand il est tourné vers une autre espèce, telle le chien.
Aimer un autre être vivant doué de sensibilité
Devrait-on s’offusquer du fait qu’un humain accorde autant d’attention et d’affection à son animal qu’il pourrait le faire pour un autre humain ? C’est la thématique qui traverse le livre de Cédric Sapin-Defour, « son odeur après la pluie », en racontant son histoire commune avec Ubac.
Sans conteste, l’auteur affirme haut et fort cette évidence qui l’imprègne au plus profond de son être. Aimer est accessible de façon multiple et adaptative, sans qu’une carence affective, psychique ou ancestrale soit à déplorer. Ses émotions se traduisent par un texte brut, viscéral, sensible, coloré, vivant.
On encaisse ce livre avec une bouffée d’air frais de la montagne parfois hachée de l’haleine d’une gueule haletante, avec les pulsations d’un cœur palpitant au travers de poils tantôt poisseux tantôt rêches, avec la friction d’une queue battant la mesure d’une ode à la joie.
Ces sensations physiques donnent une valeur particulière à ce témoignage, aux yeux des comportementalistes que nous sommes, loin des sentiers mièvres de l’anthropomorphisme. Car Cédric Sapin-Defour s’élève à hauteur de son chien, et de ce fait il goûte, transpire et visualise la liberté offerte à Ubac, œuvrant à ne pas l’accessoiriser ou l’humaniser. En tant que professeur (d’éducation physique et sportive), ouvrir un livre pour mieux comprendre cette espèce différente, même quand on a déjà côtoyé des chiens, est une évidence. Garder l’esprit critique en est une autre. De ses lectures combinées à son intime conviction, il tire une conception de la relation au chien équilibrée, dans laquelle la fermeté n’a pas sa place (« sanctionner le désirable ne fera pas surgir par magie le désiré »), contrairement à l’honnêteté ingénue (« les enfants croient en leur toute puissance, ils sont protégés du doute »), recueillant ainsi le « luxe de l’essentiel », tel le silence complice, la sortie en confiance, la présence qui rassure, les habitudes du quotidien partagées. Nous ne pouvons que le suivre : le respect de l’animal passe par l’acceptation de ce qu’il est, sans chercher à le soumettre à une image qui nous valorise.
Apprendre à donner ce qui convient à l’autre
Cantonnée à la description contextualisée et dépassionnée d’un comportement, l’éthologie fait figure pour l’auteur d’une « science des rabat-joie ». Fort heureusement, les comportementalistes ont fait la fusion avec les sciences humaines pour œuvrer à améliorer les cohabitations interspécifiques et éloigner l’anthropocentrisme. Ce livre présente intuitivement la démarche qui est au cœur de notre motivation.
Hommage d’un homme à un non-humain, gratitude pour la différence qui fait la force d’une complicité et la richesse du monde visible et invisible, les animaux inspirent, rendent plus conscients de notre humanité défaillante. Jusqu’à ce que « le monde à Bitcoin » prenne le dessus ? Par sa verve et sa subtilité, Cédric Sapin-Defour contourne cet écueil probable et offre une expérience de vie généreuse et bienfaisante.