Chronique sur le livre « cause(rie)s animales – petit traité pour les maltraités » de Audrey Jougla
La condition animale est un profond sujet de société, car elle touche notre conception et notre appropriation du Monde. Dans son dernier livre, « cause(rie)s animales – petit traité pour les maltraités », la professeure de philosophie et défenseure des animaux Audrey Jougla brosse un portrait peu flatteur de notre impact sur ceux qui participent immanquablement à notre quotidien.
L’animal maltraité dans tous les domaines
Au fil des siècles, nous avons soumis toujours plus l’animal à notre joug anthropocentriste.
Aujourd’hui, il est dénaturé. Nous avons enlevé, détruit ou transformé son espace vital, changé son alimentation, fait de la sélection, modifié ses gênes, créé des races et des hybrides… Nous négligeons ses besoins spécifiques comme ses souffrances, car il est une ressource, un bien, un outil, un substitut, une béquille, une protection, une distraction.
Et quand nous nous rappelons que l’animal est un être sentient, qui ressent et interagit, nous lui ôtons physiquement ce qui pourrait nous agresser, ou bien nous l’évacuons de notre champ visuel, auditif et olfactif.
Afin de ne pas avoir à supporter nos quelques dissemblances, nous recourrons également à l’illusion du mythe religieux ou de la représentation culturelle, soit par le symbolisme, masquant ainsi son enveloppe de chair, de sang et ses émotions, soit par l’anthropomorphisme (telles les fictions de Walt Disney), acclimatant le ressenti de l’animal aux limites acceptables de notre perception.
La prise en compte de son bien-être selon son statut
Ressource à exploiter quand nous parvenons à le soumettre, il peut être envahisseur et nuisible quand il devient une gêne dans un espace que nous nous sommes approprié. Qu’à cela ne tienne, nous nous sommes arrogé le droit divin du spécisme, et tout individu sortant du cadre de la normalité humaine ne peut se prévaloir de droits équivalents aux nôtres. Notre justice, magnanime, nous donne la prévalence en tant qu’êtres supérieurs.
A ce stade, il ne faut surtout pas se demander ce qu’il adviendrait si nous étions détrônés.
Etrangement, nos animaux de compagnie ont un statut à part. Ils deviennent des membres de la famille. Nous louons leur fidélité et leur tendresse, autrement dit leur attachement.
Avec ces quelques individus privilégiés, nous nous entrainons, enfant, à la relation à l’autre, et abordons des notions de respect et de devoir moral. Ils laissent une empreinte indélébile en façonnant notre socialité. « Le leg des animaux de notre enfance est résolument immense ».
L’animal est le « révélateur » d’un « degré de conscience plus élevé qu’on devrait mettre dans le soin aux autres ». Pourtant quelque chose se dérègle entre notre enfance et le passage à l’âge adulte.
Un cri de souffrance inaudible pour l’oreille humaine
De situations factuelles en citations philosophiques, Audrey Jougla nous interroge sur notre humanité. L’animal reste un sous-être : il est objet de décoration dans les « spectacles » tels la tauromachie, modèle de recherche pour les scientifiques, facteur d’impact écologique (réduire de moitié notre consommation de viande permettrait d’atteindre l’objectif climatique en France), mais sa souffrance est passée sous silence.
« On ne respecte que ce que l’on connaît » : c’est le concept (bien connu des comportementalistes) d’Umwelt du biologiste et philosophe allemand Jakob von Uexküll. Les livres d’Audrey Jougla sont chaque fois limpides, dans le sens du don merveilleux que nous offre l’animal (« Montaigne, Kant et mon chien ») ou de la cruauté humaine envers lui… et ses défenseur.e.s (« Animal Testing »), ils nous font grandir.
Professeur, Audrey Jougla peut se prévaloir de participer à notre éducation, comme l’a exprimé Simone Weil : « élever quelqu’un, c’est d’abord l’élever à ses propres yeux ».